Reptiles : pourquoi les scientifiques ne les évoquent plus ?

Un mot se faufile, puis s’évapore. « Reptile ». Jadis omniprésent sur les bancs de la biologie, il s’estompe, à peine soufflé dans les débats académiques. Au détour d’un amphi, une passionnée d’iguanes le cherche, en vain, dans la bouche des chercheurs. Les reptiles, stars des animaleries, phénomènes sur Instagram, glissent hors des radars de la science officielle. Comment expliquer cette disparition feutrée, ce recul silencieux d’animaux qui fascinaient naturalistes et étudiants ? Entre choix lexicaux, querelles de classifications et frontières mouvantes, l’effacement du mot « reptile » raconte bien plus qu’un simple changement de vocabulaire.

Le silence autour des reptiles : un constat surprenant dans la recherche actuelle

Dans les laboratoires français, les reptiles jouent les fantômes. Les rongeurs et les poissons, eux, trustent les paillasses. À l’échelle nationale, 2 128 058 animaux ont été utilisés pour la recherche en 2022. Les souris raflent 66 % du total, les rongeurs 83 % en cumulant toutes les espèces. Les poissons suivent, avec 9 %. Les primates, chiens et chats représentent à peine 0,2 % chacun – un chiffre dérisoire, mais toujours supérieur à celui des reptiles, absents des grandes statistiques. Ils sont devenus invisibles, comme si la recherche avait refermé la porte derrière eux.

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La base de données européenne ALURES, référence en expérimentation animale pour l’Union européenne, ne fait guère mieux : les reptiles n’y figurent qu’à la marge, loin derrière les espèces dites modèles. Ce retrait s’explique. Faible disponibilité de lignées adaptées, difficultés d’élevage en conditions contrôlées, et réputation d’animaux « exotiques » jugés peu pertinents pour la biomédecine. Les laboratoires privilégient la simplicité, la reproductibilité, et surtout, la fiabilité des résultats.

  • Les rongeurs dominent la scène scientifique : manipulation aisée, données abondantes, protocoles éprouvés.
  • Les poissons gagnent du terrain, devenant incontournables en génétique et toxicologie.

La France encadre strictement l’expérimentation animale : directive européenne 2010/63/UE, contrôles du ministère, comités d’éthique, structures de bien-être, DDPP – la machine administrative est bien rodée. Mais cette rigueur ne ravive pas l’intérêt pour les reptiles. Les chercheurs le reconnaissent : les animaux à sang chaud, plus « fiables » pour modéliser les pathologies humaines, monopolisent l’attention. Spécialisation, standardisation, recherche de productivité : tout concours à maintenir les reptiles sur la touche de la science européenne.

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Pourquoi les reptiles ont-ils perdu leur place dans les débats scientifiques ?

Les reptiles n’ont pas toujours été des oubliés. Pendant des décennies, ils ont été au cœur des grandes questions sur l’histoire évolutive des vertébrés. Mais, peu à peu, la littérature scientifique et les protocoles de laboratoire ont tourné la page. L’arrivée d’une réglementation européenne plus stricte a accentué le phénomène : la directive 2010/63/UE (adoptée en France en 2013) impose un cadre sévère à l’expérimentation animale. Les contrôles se multiplient, orchestrés par le Comité d’Éthique en Expérimentation Animale (C2EA), le Comité National d’Éthique (CNREEA), les Structures de Bien-Être Animal (SBEA) ou les Directions Départementales de Protection des Populations (DDPP). Cette superposition administrative favorise les espèces faciles à standardiser. Les reptiles, eux, restent à la marge.

Pourquoi ? Leur biologie n’a rien de banal. Sang-froid, exigences écologiques pointues, diversité extrême d’une espèce à l’autre : impossible de les faire entrer dans le même moule que les mammifères. Leur acclimatation à la captivité, leur dépendance à l’environnement, compliquent toute tentative de reproductibilité. Le temps, c’est de l’argent – la science préfère les modèles traditionnels, plus rentables.

  • Élever des reptiles en laboratoire, créer des lignées standardisées : mission (presque) impossible pour la biomédecine.
  • La transposabilité des résultats reste la boussole. Or, la physiologie des reptiles s’éloigne trop de celle des mammifères pour satisfaire les exigences de la recherche appliquée.

Dans les débats actuels sur l’expérimentation animale, les enjeux éthiques, réglementaires et scientifiques monopolisent l’attention. Sur ce terrain, les reptiles apparaissent comme les grands absents d’une recherche obsédée par la performance, l’efficience et la conformité.

Entre mythes persistants et avancées récentes : ce que la science dit vraiment des reptiles

Entre fascination et méfiance, les reptiles restent accrochés à l’imaginaire collectif. Pourtant, la science, elle, garde ses distances. Malgré leur longévité exceptionnelle, les prouesses physiologiques des serpents ou tortues, l’intérêt des laboratoires ne décolle pas. Mais les progrès en génomique et en évolution bousculent les idées reçues. Récemment, des équipes de l’université de Chicago et d’Arizona State University ont montré que les ancêtres des serpents possédaient bel et bien des pattes, capables d’explorer les profondeurs souterraines il y a des millions d’années.

  • Une étude publiée dans Nature a identifié le rôle du gène sonic hedgehog (shh) dans la disparition progressive des membres chez le serpent – une révélation pour comprendre l’évolution des tétrapodes.
  • Les oiseaux ? Loin d’être des exceptions, ils partagent quantité de caractéristiques anatomiques avec les reptiles, preuve d’une filiation évolutive plus serrée qu’on ne l’imagine.

Dans les laboratoires, la tendance va ailleurs : organes sur puce, cultures cellulaires, modèles 3D de tissus humains prennent le relais. La transposabilité des résultats issus des reptiles à l’homme continue de diviser. Les ONG comme PETA ou la Fondation Brigitte Bardot dénoncent la souffrance animale ; la société civile, elle, plébiscite les produits cruelty free. Résultat : la science avance, mais les reptiles, eux, restent coincés à la lisière, guettant un hypothétique retour en grâce.

reptiles mystérieux

Vers un renouveau de l’intérêt scientifique pour les reptiles ? Ce que l’avenir pourrait révéler

Un frémissement agite les milieux naturalistes : et si les reptiles revenaient dans le viseur de la recherche ? Les dernières percées sur l’évolution des serpents – capables jadis de se faufiler, pattes au vent, dans les galeries souterraines – rappellent le potentiel inexploré d’une lignée animale forgée par des millions d’années de sélection. Pourtant, côté biomédecine, le bal reste dominé par la souris, le poisson-zèbre, le primate. Les chiffres ne laissent aucune place au doute : de plus de deux millions d’animaux utilisés en France en 2022, presque aucun reptile n’apparaît dans les bilans, loin derrière les rongeurs (83 %), les poissons (9 %) ou les primates (0,2 %).

Mais l’essor des méthodes alternatives change la donne. Le Prix 3R 2024, remis à Maria Shutova pour ses travaux sur le psoriasis grâce à des cultures in vitro, incarne ce virage technologique : la science affine ses outils, réduit le recours à l’animal, reléguant le reptile à un rôle d’observateur.

Pourtant, difficile d’ignorer les atouts des reptiles. Leur génome atypique, leur souplesse adaptative, la diversité de leurs réponses immunitaires ouvrent des portes inédites. Une veille scientifique s’installe, portée par l’urgence de la conservation et l’intérêt renouvelé pour la biodiversité. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) martèle l’utilité des reptiles dans l’équilibre des écosystèmes. Peut-être, demain, ces créatures reviendront-elles hanter les laboratoires. Non pour détrôner la souris ou le poisson, mais pour rappeler, à l’ombre des néons, que l’évolution n’a jamais cessé d’inventer.